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La tourte d'Alice

La tourte d'Alice

Laissant mes doigts pétrir la pâte, mes pensées m’emmenaient vers la dernière fois ou j’avais préparé cette recette. C’était l’automne dernier, il y a un an exactement.

Du plus ancien de mes souvenirs, Alice et moi, réalisions chaque année, sa bonne vieille recette « chérie » de tourte au potimarron au magret fumé de canard.

Nous décorions la chaumière des couleurs et odeurs de la nature. Le jaune des courges, le rouge des potimarrons et le marron des châtaignes alternaient avec le vert moisi des mousses et l’ocre mordoré des champignons. Nous remplissions, la grande cuisine, d’effluves, de vapeur, de crépitement et de bouillonnement afin de réaliser ces quelques tourtes autour desquelles, Alice réunissait famille et amis pour cette fête automnale.

Cette année, sans elle, le chatoiement des teintes, l’émanation des ingrédients me semblait fade. Les bouquets de chrysanthèmes coupés flétrissaient un peu partout dans la maison.

Pourtant, dans la cuisine, la nature reprenait ses droits. La belle courge, rouge brique, en forme de poire, attendant sagement sur la faïence de la table, côtoyant une généreuse poignée de marrons, un pot a l’ancienne de crème et des filets de magret, le tout rappelant une vraie nature morte.

Ce soir le craquement des bûches dans la cheminée était remplacé par le discret frémissement des oignons roussissant dans la poêle. Leurs chaudes couleurs évoquant celles tout aussi éphémères de la forêt.

Mon esprit fluide comme la farine qui me coulait entre les doigts, je défilais les étapes de sa recette. Je revoyais le bonheur qu’elle avait chaque fois, à mélanger lait, crème et cubes de potimarrons dans la cocotte où tranquillement ils réduisaient. Je la revoyais étaler la pâte en deux disques presque identiques les comparant à des lunes bien pleines. Du beurre ramolli, elle chemisait le plat, avant de l’habiller de la pâte feuilletée.

Elle se régalait du savant patchwork d’invités qu’elle avait créé aussi patiemment que sa recette.

La buée s’échappant de la casserole où j’ébouillantais les gros cubes oranges, me ramena au présent. D’un geste rageur je séchais les larmes de mon visage. Mon humeur nostalgique, mes frissons, mes pleurs se mariaient à la perfection aux brumes matinales, aux tourbillons de fleurs et de feuilles fanées

Le potimarron mijotait doucement dans la crème, dégageant une douce odeur de sucrée. Je retrouvais cette senteur joyeuse, qui les années précédentes, accueillait les invitées. La bonne odeur sucrée de châtaigne, rappelant les premiers frimas des matins, les souvenirs d’enfance des vacances de la Toussaint, la rousse natte d’Alice, ses taches de son qui ornaient son visage, et son merveilleux sourire qui illuminait ma vie comme une belle journée ensoleillée d’octobre.

Une fois la compotée de potiron versée dans le plat, un soupçon de poivre et je décorais de fines tranches de magret. Ces sombres taches cramoisies sur l’orangé de la courge soulignaient à souhait l’ambiance de la forêt qui décorait ma fenêtre. Je recouvrais le plat de la deuxième lune et je scellais les deux en écrasant les contours entre mes doigts.

J’aménageais une petite cheminée au centre de la tourte pour que la vapeur puisse s’échapper comme les mauvais souvenirs. Avec le pinceau de cuisine, tel un peintre, je vernissais mon œuvre d’un jaune d’œuf, qui mordorerait la tourte à la cuisson.

Je déposais le tout dans le four.

Le vent fit tinter le carillon de l’entrée. Mais, cette année pas d’invitation.

Alice reposait dans son dernier lit sous une couverture de feuilles éclatantes d’automne.

Texte d'octobre 2012;

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K
Merveilleux texte plein de poésie et de féérie. A quel plaisir aurions nous à venir tous ensemble partager cette tourte dans un décor de contes comme tu sais si bien le décrire, mais à défaut de tourte ce sont tes mots succulents et poétiques qui émoustillent.<br /> <br /> bravo !
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